Les services de Police
ROYAUME DE BELGIQUE
MINISTÈRE DE LA GUERRE
CABINET MILITAIRE
Le Havre, le 1er décembre 1916.
N° 6691/Bc10
Monsieur Debauche,
Service d'ordre à Birtley.
Le Commandant Alfred DUPONT, dans le rapport qu'il m'a fait en suite de sa
visite à Birtley me signale que les autorités anglaises considèrent nos gendarmes comme des
agents de police et ne les autorisent pas à porter des armes.
J'ai examiné dans ces conditions s'il était préférable de faire assurer l'ordre à Birtley
autrement qu'il l'a été jusqu'ici, c'est à dire par les 11 gendarmes de carrière et les 13
gendarmes des forces supplétives qui se trouvent à Birtley.
Le Commandant DUPONT m'a renseigné que dans une conversation à laquelle avait
également pris part Mr Spicer, l'envoi à Birtley d'une garde d'une trentaine de soldats
encadrés de bons sous-officiers avait été envisagé. De l'avis de Mr Spicer, si cette proposition
était admise par le Département de la Guerre en Belgique, les autorités anglaises seraient
prêtent à examiner si rien ne s'oppose à ce que cette force militaire belge armée puisse
fonctionner en Angleterre. Je dois vous dire que cette solution ne me parait pas devoir,
en toutes circonstances, atteindre son but. Comme vous le savez, pour maintenir l'ordre les
gendarmes, dont c'est le métier, sont meilleurs que les soldats. Je crains en outre qu'entre
ces soldats et les militaires de l'usine ne s'établissent rapidement des liens de camaraderie
tels que, le jour où cette garde aurait à faire preuve d'énergie, il ne soit à craindre qu'elle
ne parvienne pas à rétablir l'ordre.
Evidemment, le problème est difficile à résoudre.
Nous ne pouvons en effet imposer aux militaires de Birtley, dont la plupart ont quitté les
rangs depuis longtemps, une discipline semblable à celle qui est exigée dans des formations
purement militaires. Tenant compte en outre que ces militaires se trouvent en Angleterre, il
est désirable d'éviter des heurts qui nécessiteraient des mesures générales de coercition et
nous devons nous efforcer de reprendre en mains petit à petit les hommes se trouvant à Birtley.
Les considérations ci-dessus m'amènent à me demander si nous n'aurions pas intérêt à soumettre cette
question aux autorités anglaises, leur faisant remarquer que si, malgré notre désir d'éviter
l'obligation de mesures générales de répression, le Capitaine Algrain, après s'être concerté avec
vous, était amené à devoir recourir à de semblables moyens, vous vous trouveriez en fâcheuse posture,
ne disposant que de 24 hommes non armés, et que, dans ces conditions, nous les prions d'examiner
quelles sont à leur avis les dispositions à prendre en vue d'une telle éventualité. Nous pourrions
ajouter que nous avons envisagé le remplacement de 18 des 24 gendarmes par une garde militaire belge
armée, mais que, pour les raisons indiquées ci-dessus, cette solution ne nous parait pas des plus
désirables. Nous pourrions aussi leur demander - si vous ne voyez pas à cette solution des
inconvénients - d'envisager le maintien de l'ordre dans l'usine et dans le village par des policiers
anglais. Il y en a déjà d'ailleurs qui se promènent assez souvent dans l'usine.
Vous m'obligeriez, Monsieur Debauche, en voulant bien examiner cette question avec le Capitaine Algrain
et en me faisant connaître vos avis.
Veuillez agréer, Monsieur Debauche, mes salutations distinguées.
Le Capitaine Commandant, D.M.G. à la D.E.A.,
Blaise.
Point de vue de Algrain à la lettre de Blaise.
BIRTLEY - ELISABETHVILLE
ADMINISTRATION DU VILLAGE
BIRTLEY CO DURHAM
Vendredi, le 8 décembre 1916.
Ce.A/GT
Monsieur le Directeur Général,
Comme suite à la lettre No 6691 BC 10 que vous a adressée le Commandant Blaise en date du 1 ct,
j'ai l'honneur de porter à votre connaissance que la solution qui me parait la plus logique
serait d'écarter, les gendarmes des forces supplétives et, d'accord avec les autorités anglaises,
de les remplacer par un certain nombre de policiers anglais à condition que ces policiers, pour
autant que concerne le service spécial dans le village, soient entièrement sous mon commandement.
Il est indispensable à mon avis de conserver ici une partie des gendarmes effectifs, dans le but
de faire des recherches, d'aider la police anglaise hors du village (et ce sur sa demande) et
comme surveillants de la prison.
Comme suite à la conversation que j'ai eue avec le Commandant Dupont, je crois qu'il serait
opportun d'avoir de 6 à 8 gendarmes effectifs.
En ce qui concerne la question de militaires détachés comme force de police, il est bien certain
que plusieurs soldats ne remplacent pas (au point de vue "Police" bien entendu) un gendarme.
Immédiatement est soulevée la question de la paie.
Le Ministère des Munitions réclamera très probablement s'il doit payer ne serait ce que 30/ par
semaine à un grand nombre de soldats servant comme policiers et, d'un autre côté, si le nombre
de soldats n'est pas suffisant, le service de surveillance ne sera pas complet. Il y a tout
lieu de croire également qu'après très peu de temps il existerait des relations entre ces
soldats et ceux travaillant à l'usine et on ne pourrait plus compter sur les premiers.
Veuillez agréer, Monsieur le Directeur Général, les assurances de ma considération la plus
distinguée.
Le Capitaine, Chef du Village
Commandant le D.O.A.B.E.
L. Algrain
Réponse de H. D. à Monsieur BLAISE
16 décembre 1916
Cher Monsieur Blaise,
J'ai bien reçu votre estimée lettre N° 6691, bc10 du 1er courant.
En réponse j'ai l'honneur de vous remettre copie de la lettre que m'adresse Monsieur le
Capitaine Algrain en date du 8 courant au sujet du service d'ordre à Birtley et de vous donner
ci après mon avis personnel sur ce point délicat. L'emploi de la police anglaise pour le
maintien de l'ordre aussi bien dans le village que dans l'usine de Birtley, a rallié dès le
début toutes mes sympathies et c'est pourquoi je vous ai fait une proposition dans ce sens au
mois de février dernier; je me basais pour cela, sur l'expérience que j'avais acquise en Russie
dans un cas analogue au nôtre où je me servais avec le plus grand succès de la police russe
pour la surveillance d'une usine avec son village. Théoriquement cette police régulière était
placée sous le commandement d'un Chef de district, mais pratiquement elle obéissait à mes
ordres.
Cependant j'estime qu'à Birtley la réalisation de cette idée ne sera pas possible pour les
raisons suivantes:
- La guerre a fait le vide dans tous les corps de police d'Angleterre, où les éléments bien
entrainés qui ont disparus ont été remplacés par d'autres.beaucoup moins expérimentés; dans
certains cas, il a même fallu avoir recours à des femmes policiers.
Je pense qu'aucun corps de police anglais ne sera disposé à nous céder le nombre d'agents
compétents nécessaires, et que dans ces conditions la police anglaise que nous parviendrons à
réunir ne vaudrait pas celle dont nous disposons à ce moment.
- Le Chief Constable de Durham, Mr Morant, est extrêmement jaloux de son autorité et je crois
qu'il ne consentira jamais à laisser fonctionner à Birtley un détachement de policiers anglais
qui ne seraient pas sous son commandement. Comme Mr MORANT est chargé de la
sûreté du Comté, il est probable que le "Home Office" sera de son avis.
Monsieur Spicer est d'accord sur ces deux points.
La question d'envoyer à Birtley une garde militaire armée n'a été mise à l'étude à un moment
donné qu'à la suite d'interdiction qui nous a été faite d'armer les gendarmes composant notre
police, et je suis d'accord avec vous pour reconnaître qu'un gendarme vaut plusieurs soldats
quand il s'agit de maintenir l'ordre, et en conséquence pour les remplacer, il faudrait non pas
30 soldats mais au moins 60 et peut-être même davantage.
Au cours d'un entretien que j'ai eu avec Mr SPICER il y a quelques jours, je
lui ai demandé pourquoi les gendarmes ne pouvaient pas porter des armes attendu que ces agents
étaient autant soldats que policiers; à cette question, il me fut répondu que si nous
présentions nos gendarmes comme soldats, il est probable que l'autorisation de leur faire porter
des armes pourrait nous être accordée; toutefois, Mr Spicer m'a fait remarquer qu'en cas où
nous croirions devoir recourir à des mesures de répression, soit au moyen de la garde
militaire, soit avec les gendarmes armés, et si ces mesures entraîneraient la mort d'homme,
nous pourrions nous trouver en fort mauvaise posture vis-à-vis des autorités anglaises parce
que nous aurions à établir la preuve que le ou les victimes avaient préalablement posé des
actes justifiant l'emploi de ces moyens de répression. L'avis de Mr Spicer est, qu'en cas de
nécessité, il serait préférable pour nous d'avoir recours à la force armée anglaise.
L'emploi de celle-ci se justifierait parfaitement, attendu qu'en cas de grève ou d'émeute, il
est bien naturel que le gouvernement anglais utilise ses soldats pour la sauvegarde d'une usine
et d'un village qui lui appartiennent; je suis aussi d'avis que le secours de la force armée
pourra toujours nous parvenir en temps utile, surtout si elle se trouve cantonnée par exemple
à Newcastle et si un arrangement préalable entre les gouvernements belges et anglais la met à
notre disposition à la 1ère réquisition.
Après avoir mûrement réfléchi à tout ce qui précède je crois devoir vous faire la proposition
suivante:
- Continuer à nous servir de notre police actuelle non armée.
- En cas de nécessité, réquisitionner l'intervention d'une compagnie de soldats anglais qui
agirait de concert avec la police susdite. Il y aurait lieu de conclure à un arrangement avec
le Gouvernement anglais pour que cette force armée soit envoyée à Birtley du lieu le plus
rapproché à la première réquisition faite par moi ou par le capitaine Algrain.
Veuillez agréer, cher Monsieur Blaise, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
Le Directeur Général.
H. Debauche.
A Monsieur le Capitaine Commandant Blaise
Directeur des Etablissements d'Artillerie,
Attaché au cabinet du Ministre de la Guerre de Belgique.
Le Havre
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