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La rebellion du 21 décembre 1916

Rapport de Mr Hubert Debauche, directeur général, expédié à Monsieur le Ministre de la Guerre le 25-12-16 au soir.
(Porté par Mr. Torchain au Major Theunis à Londres)


Le 24/12/1916

Monsieur le Ministre,

J'ai l'honneur de vous donner ci-après la relation des événements survenus dans le Village d'Elisabethville au courant du 21 Décembre dernier et des jours suivants.
Le 21 décembre à 8 heures 1/2 du matin un des chefs de service m'apporta un placard trouvé dans les ateliers, écrit au crayon et qui disait ce qui suit:
Chers amis,
Ce soir à 6 h 1/2 tous à la Gendarmerie pour délivrer deux de nos camarades punis de six jours de cachot pour être sortis en civil.
N'y manquez pas!
Communiquez cet avis à vos amis ainsi qu'aux hommes de jour.
Vers 9 heures du matin, je remis ce papier au Capitaine Algrain qui était déjà informé et qui avait projeté les mesures à prendre. Vous trouverez d'ailleurs, annexé à la présente, le rapport du Capitaine Algrain où les dispositions qu'il avait prévues sont indiquées.
Pendant la journée il ne fut remarqué rien d'anormal dans l'usine ni dans le village, et je quittai mon bureau vers 8 heures du soir pour rentrer chez moi sans avoir été informé que des désordres se produisaient dans le village.
Ce n'est que vers 10 heures du soir, lorsque je reçu la visite du Capitaine Algrain que je fus informé de la gravité des faits qui se passaient depuis 6 heures 1/2 aux environs de la Gendarmerie.
Monsieur Algrain m'apprit notamment que deux coups de feu avaient été tiré par l'Adjudant de Gendarmerie Dragonnier et qu'un enfant avait été blessé légèrement. Presque en même temps je reçus la visite de l'Officier de Police Cargate, Chef de la Police du District, convoqué chez moi par Monsieur Algrain. Cet Officier de Police revenait du village en annonçant que les désordres avaient pris un caractère grave et qu'il avait crû devoir écarter nos gendarmes pour prendre la défense du poste avec l'aide de la police anglaise comprenant en ce moment là environ vingt hommes et qu'un renfort de trente policemen était attendu. L'officier de police expliquait qu'il avait dû agir de cette façon pour empêcher la gendarmerie de faire usage de ses armes, ce qui eut, à son avis, rendu la situation désespérée.
A ce moment, Monsieur Dolphin qui se trouvait à la Gendarmerie, demanda chez moi téléphoniquement à entretenir Monsieur Algrain et il lui déclara que les policiers anglais installés à la Gendarmerie étaient complètement débordés et impuissants à résister à la nouvelle attaque très forte qui se dessinait. Comme conséquence il demandait d'être autorisé à relâcher les prisonniers que la foule réclamait avec la plus grande violence. Après s'être mis d'accord avec moi, le Capitaine Algrain téléphona à Monsieur Dolphin qu'il l'autorisait à libérer les prisonniers réclamés, mais non les autres.
En réalité, des trois soldats emprisonnés pour port de costume civil deux avaient été libérés la veille par expiration de peine et le troisième n'a été libéré que le lendemain pour le même motif, le délégué des émeutiers, le soldat Richard ROBERT s'étant contenté de faire libérer le soldat FLAME Julien qui avait été arrêté quelques instants auparavant alors qu'il essayait de s'introduire dans la gendarmerie par une fenêtre enfoncée.
Immédiatement après, la foule se dispersa et le calme se rétablit, mais une réunion nouvelle était projetée pour le lendemain soir, ayant pour but des attentats plus graves encore que ceux relatés plus haut.
Vis-à-vis de cette situation j'examinai avec soin, d'accord avec le Capitaine Algrain, les moyens les plus efficaces pour éviter le retour de scènes semblables et nous décidâmes d'entrer en contact immédiatement si possible, avec Monsieur Spicer par la voie téléphonique. Nous parvînmes après un temps fort long à obtenir la communication avec lui mais il nous fut impossible, étant donné les mauvaises conditions atmosphériques de pouvoir nous faire comprendre.
Il put cependant être prévenu qu'un télégramme fort long allait lui être lancé et que j'attendais la réponse avec impatience. Je lui télégraphiai, vers 2 heure du matin, ce qui suit:
Urgent:
Graham Spicer - Voewood - Malden - Surrey.
A Manifestation of the workmen from the Birtley Factory was anticipated for this evening in order to obtain the release of men who had been incarcerated for military offense stop Captain Algrain informed the British Police at twelve o' dock and British Policemen came to help the Gendarmery stop the manifestation has turned into revolt and attack of the local Gendarmery station and of the Village Offices stop a manifestation has equally taken place in front of Captain Algrain' Bungalow stop Gendarmes without weapons are totally powerless and several dammages have been done to the Gendarmery stop One has been obliged to release the prisoners stop everything is now quiet but we fear most serious disorders for to-morrow evening stop I therefore request you to give instructions to send to-morrow Friday before twelve o' dock a company of British soldiers who would have the duty to maintain - with our Police.- the order in the Village during the night stop Please to come to-morrow Friday in order to-have an interview with me regarding this serious and urgent question stop I am anxious to receive your reply.
Debauche - Belgeanglo.
A la même heure, le message suivant vous fut câblé pour vous expliquer les mesures que je demandais à Monsieur Spicer de prendre pour la sécurité du village:
Urgent : Belguerre - Havre,
A la suite d'événements survenus ce soir dans le Village d'Elisabethville je viens de lancer le télégramme suivant à Spicer stop Une manifestation des ouvriers de l'usine de Birtley était prévue pour ce soir dans le but de faire relâcher des hommes mis en prison pour délit militaire stop Capitaine Algrain a prévenu la police anglaise à midi et des policiers anglais sont venus pour aider la gendarmerie stop La manifestation s'est transformée en révolte et attaque du poste de gendarmerie et des bureaux du village et manifestation devant maison Capitaine Algrain stop La police désarmée est totalement impuissante et certains dégâts ont été faits à la gendarmerie stop On a dû relâcher les prisonniers stop Actuellement tout est rentré dans le calme mais nous craignons des troubles plus sérieux pour demain soir stop Je vous demande de faire envoyer demain avant midi une compagnie de soldats anglais qui serait chargée - avec notre police - de maintenir l'ordre dans le Village pendant la nuit stop Prière venir demain pour conférer avec moi sur cette question grave et urgente stop attends votre réponse stop Je vous télégraphierai la réponse que je recevrai de Spicer stop.
Debauche Belgeanglo
Pendant tout ce temps le travail de l'équipe de nuit s'effectuait normalement et sans le moindre trouble.
Mon télégramme atteignit Monsieur Spicer vers 4 h. 1/2 du matin et il partit aussitôt pour Londres en vue d'effectuer les démarches nécessaires pour nous donner satisfaction et je reçus à 9 heures du matin la communication téléphonique suivante :
Debauche care of Belgeanglo Birtley Durham,
Telegram received Proceeding London immmediately
Will come Newcastle first train if arrangements completed.

Spicer
Ce télégramme fut confirmé par une autre communication de Monsieur Spicer parvenue à Birtley vers onze heures du matin et disant ce qui suit :
Belgeanglo Birtley Durham.
Have arranged with general headquatoters for general officer commanding Tyne Garrison to communicate with Chief Constable of Durham and to take all necessary steps to meet the situation Am coming by ten o'clock train Please send car to meet me outside station Hôtel 3,25.
Spicer
C'est alors que je vous ai lancé le télégramme suivant vous mettant au courant des dispositions prises par Monsieur Spicer :
Spicer télégraphie stop ai pris arrangements avec Quartier Général pour que 1'Officier Général commandant la Garnison de la Tyne se mette en communication avec le Chief Constable de Durham à l'effet de prendre toutes mesures nécessaires pour parer à la situation Arrive par le train de dix heures Veuillez envoyer auto pour me prendre en face Hôtel Gare à ? heures 25.
Spicer stop
Vous tiendrai au courant par télégramme des mesures prises après arrivée de Spicer stop le travail à 1'usine a été normal pendant la nuit dernière et il est normal aussi aujourd'hui stop.

Debauche - Belgeanglo.
A midi et demi Monsieur Dolphin me demanda de la part du Général Montgomery arrivant de Newcastle, un entretien pour 13 h. 30. A cet entretien, assistaient :
  • le Général Montgomery, commandant la division de la Tyne avec 4 Officiers d'Etat Major,
  • le Chef Constable de Durham, Monsieur Morrant,
  • le nouveau représentant du Ministère des Munitions à Birtley, Monsieur Gibb, et son adjoint, le lieutenant Cardner,
  • Monsieur Dolphin, le Capitaine Algrain et moi.

L'entretien s'engagea immédiatement comme suit : Monsieur Gibb prit immédiatement la parole en disant que nous étions ici pour faire des obus et que, par conséquent, la population ouvrière devait être tranquille et qu'à son avis, avant de prendre des mesures de rigueur il y aurait lieu de causer aux ouvriers meneurs pour tâcher de calmer les esprits par la conciliation.
Je fis remarquer à Monsieur Gibb que nous n'étions pas ici dans une usine ordinaire, c'est à dire pourvue d'ouvriers civils; qu'en réalité, il n'y avait pas de grèves ni d'ouvriers grévistes, attendu que le travail dans les usines n'avait subi aucun trouble, ni de jour, ni de nuit, mais qu'il s'agissait de délits purement militaires. Un ordre militaire avait été donné par le Capitaine Algrain aux soldats composant la presque totalité de la population ouvrière, que des militaires désobéissants avaient été punis et que des camarades de soldats punis s'étaient rebellés contre l'autorité militaire et avaient, au moyen d'actes de violences obligé celle-ci à libérer les prisonniers.
Je ne voyais donc pas bien comment le Capitaine Algrain dont l'autorité avait été atteinte pouvait finir cette affaire par une transaction.
Le Général Montgomery me demanda ensuite ce que je désirais et je lui répondis que je désirais que des mesures fussent prises pour faire respecter l'ordre dans le Village et empêcher, au besoin par la force, les troubles que nous prévoyions pour la nuit prochaine.
Le Général voulut savoir ensuite si nous disposions d'une force suffisante pour réaliser nos désirs et ma réponse fut que nous ne disposions d'aucune force semblable mais que j'avais télégraphié à Monsieur Spicer à Londres pour obtenir que l'on mit à notre disposition une compagnie de soldats anglais qui devrait coopérer avec notre force de gendarmes. Il me fut alors proposé de faire usage de la Police anglaise pour maintenir l'ordre pendant la nuit prochaine.
Je répondis que cette proposition ne me rassurait pas parce que nous avions été à même de constater la nuit précédente que la Police anglaise était au moins aussi impuissante que la nôtre, attendu qu'elle était chargée de maintenir l'ordre dans le Village et de défendre la gendarmerie, elle n'avait pu calmer les esprits qu'en libérant un prisonnier, c'est-à-dire en donnant satisfaction aux révoltés au dépens de l'autorité militaire.
Comme conclusion je réitérai ma demande de mettre à notre disposition une une compagnie de soldats anglais qui coopérerait avec notre police au maintien de l'ordre.
Le Général demanda à ce moment si je pouvais lui communiquer le télégramme que j'avais envoyé à Monsieur Spicer la nuit précédente. Je lui fit voir alors la copie de ce télégramme ainsi que la réponse de Monsieur Spicer par laquelle il m'informait qu'il avait pris des arrangements avec le Quartier Général pour que l'Officier général commandant la Garnison de la Tyne se mette en communication avec le Chief Constable de Durham à l'effet de prendre toute mesures nécessaires pour parer à la situation.
Après la lecture de ce télégramme, le Général déclare mettre à ma disposition la force armée que nous désirons et m'a demandé de lui en désigner l'importance. D'accord avec le Capitaine Algrain je lui dis qu'il nous faudrait au moins 150 hommes.
Là-dessus, le Général commença à dicter un ordre à son aide de camp et au même instant Monsieur Gibb demanda à nouveau la parole dans le but d'attirer particulièrement mon attention sur le fait qu'une intervention d'une force armée anglaise dans notre colonie d'Elisabethville aurait une répercussion telle sur l'opinion publique en Angleterre qu'elle pourrait même être susceptible d'amener une rupture de la Convention liant les deux Gouvernements au sujet des Usines de Birtley.
J'ai fait observer à Monsieur Gibb que j'étais étonné de sa remarque attendu qu'à l'heure actuelle l'intervention éventuelle d'une force armée anglaise agissant avec notre police belge désarmée était précisément à l'étude entre les deux Gouvernements et il me fut répondu par Monsieur Gibb que dans un cas semblable l'opinion publique pourrait avoir une influence très sérieuse sur le Gouvernement anglais. Or, a ajouté Monsieur Gibb, nous désirons vivement continuer nos relations et c'est pourquoi je désirerais trouver une solution satisfaisante pour chacun.
Je déclarai alors :"Puisque vous estimez que l'emploi de la force armée anglaise comme nous le désirons, est susceptible d'amener une rupture de la convention, je vous demande de nous faire une proposition quant'aux mesures que vous nous conseiller de prendre pour maintenir provisoirement l'ordre dans le Village jusqu'au moment où le Gouvernement belge, que je n'ai pas eu le temps de consulter étant donné l'urgence, puisse nous donner son avis."
J'essayai à ce moment de retarder la décision à prendre jusqu'à l'arrivée de Monsieur Spicer qui m'était annoncé pour quatre heure; mais le Général me fit remarquer que l'heure avançait et qu'il était nécessaire d'être fixé immédiatement si nous voulions être prêts avant la nuit.
Le Général parlant en son nom et en celui du Chief Constable de Durham fit la propositions suivante :

  1. Le Chief Constable de Durham placera dans le Village cinquante policemen qui assureront l'ordre. Au besoin le nombre de policemen pourra être porté à cent dans un délai très court.
  2. Le Général tiendra prêts à partir en automobile à chaque instant une force armée de cent hommes qui sera expédiée à Birtley à la première demande du Chief Constable.
  3. Le Capitaine Algrain intervenant demanda au Général s'il prenait dans ces conditions la responsabilité entière du service d'ordre.
Le Général répondit qu'il assumait cette entière responsabilité, d'accord avec le Chief Constable de Durham, à la condition que la Gendarmerie Belge suspende ses services de police et qu'il aurait la faculté de s'entretenir immédiatement avec un des meneurs.
Etant donné la gravité des circonstances et les conséquences considérables pouvant résulter, d'après Monsieur Gibb, de l'emploi d'une force armée anglaise combinée à notre police belge, l'exigence du Général Montgomery de ne s'assurer l'entière responsabilité de l'ordre qu'à la condition énoncée ci-dessus et enfin l'impossibilité où nous nous trouvions de consulter le Gouvernement belge, nous avons été obligés de suspendre le service de nos gendarmes et de permettre au Général de s'entretenir avec le meneur, Richard ROBERT, un soldat.
Il fut bien entendu qu'à cet entretien nous ne prenions aucune part et qu'il ne pouvait en aucune façon lier le Gouvernement Belge.

Le soldat Richard ROBERT fut introduit par Monsieur Dolphin et présenté au Général qui lui posa les questions suivantes :

1ère Question:

Demande:Quels sont les griefs des soldats qui ont amené les troubles d'hier?
Réponse: Il y a trois griefs :
  1. Un soldat s'est rendu chez le Capitaine Algrain dans le but de demander un congé de quatre jours. Parce qu'il était porteur d'une casquette civile *, il a été puni de quatre jours de salle de police. Le grief est le plus important et nous avons exigé la libération du prisonnier. Nous avons constaté que l'homme libéré portait de nombreuses ecchymoses prouvant qu'il avait été battu pendant son incarcération.
  2. Les soldats se plaignent de l'interdiction qui leur est faite d'entrer dans les bars anglais.
  3. Les soldats se plaignent également que le port du costume civil leur est interdit.
* Je fais remarquer que nous possédons chacun une tenue et que les soldats portent une casquette civile à l'usine pour ne pas salir leur képi qui sert alors pour la sortie.
Le Général déclare alors qu'une enquête sera faite par lui sur les griefs des hommes.

2e Question:

Demande:Le Général déclare que la Gendarmerie ne fonctionnera pas cette nuit, que le Village sera gardé par des policiers anglais et il demande si, dans ces conditions, il peut répondre que ses camarades ne troubleront plus l'ordre ?
Réponse:Je vous donne ma parole que mes camarades ne troubleront pas l'ordre cette nuit.

3e Question:

Demande:Avez-vous le pouvoir de parler au nom de vos camarades et de vous faire obéir?
Réponse:Oui.

4e Question:

Demande:Quand causerez-vous à vos camarades ?
Réponse:Ce soir à 6 H. 1/2 au Dining Hall.

Après cet entretien la séance a été levée à 15 H. 30, le Général déclarant vouloir voir Monsieur Spicer à Newcastle à son arrivée.
Après le départ du Général j'ai reçu votre télégramme ainsi conçu :

Belgeanglo - Birtley o Durham
"Ai télégraphié pour appuyer demande compagnie qui est de toute nécessité stop j'envoie Commandant et Capitaine Belguerre"
Nous avons attendu alors l'arrivée de Monsieur Spicer qui est entré dans mon bureau vers 17 h. 1/2 après avoir eu un entretien avec Monsieur Gibb au bureau de celui-ci.

Etaient présents à l'entretien: Monsieur Spicer, Algrain et moi.

Monsieur Spicer dit qu'il vient d'avoir un long entretien avec Monsieur Gibb qui lui a fait part de toute sa satisfaction de la bonne marche des usines. Monsieur Spicer parle ensuite d'une enquête qu'il serait nécessaire de faire pour mettre fin une fois pour toutes aux bruits malveillants qui circulent dans Londres depuis plusieurs mois au sujet de Birtley.
Il est question de cette enquête depuis quelque temps et il voudrait la faire faire soit par des journalistes, soit par des représentants de l'un et de l'autre Gouvernements.
Monsieur Spicer ajoute que les allemands viennent de déclarer dans leurs journaux que les anglais forçaient les ouvriers belges à travailler dans des usines à munitions et qu'il était désirable de faire connaître que les belges y travaillaient volontairement.
Monsieur Spicer s'est déclaré d'accord sur les mesures proposées par le Général et le Chief Constable pour le maintien de l'ordre dans le village et qu'il s'est montré satisfait de la façon dont nous avions agi, en le prévenant immédiatement des troubles qui étaient survenus à Elisabethville, ce qui lui avait permis de prendre sans aucun retard les mesures nécessaires. Je lui fit alors voir votre télégramme que j'avais reçu quelques instants avant son arrivée et je l'informai que le Commandant Hognoulle et le Capitaine Mary se trouveraient le lendemain 23 courant au bureau du Major Theunis à Londres. Monsieur Spicer a alors décidé de repartir le même soir pour Londres pour y rencontrer ces Messieurs et les entretenir de la situation, et leur faire part des mesures provisoires qui avaient été prises pour assurer l'ordre avant leur départ pour Birtley.
Après le départ de Monsieur Spicer, je vous ai télégraphié vers 22 heures ce qui suit:

"Tout est tranquille travail de nuit normal stop
l'ordre est parfaitement assuré par cinquante policemen choisis de Durham appuyés au besoin par compagnie anglaise stop Spicer retourne ce soir à Londres où il rencontrera le Commandant et le Capitaine stop"
Debauche, Belgeanglo.
Un autre télégramme a été envoyé à la même heure au Major Theunis:
"Tout est tranquille stop
Spicer retourne ce soir à Londres et rencontrera chez vous le Commandant Hognoulle. stop"
Debauche, Belgeanglo.
Le 23 décembre le travail fut également normal à l'usine et la tranquillité la plus parfaite règne dans le Village.
Le Capitaine Algrain, d'accord avec moi, envoya vers 13 heures le télégramme suivant au Major Theunis:
"Attend Commandant Hognoulle et Capitaine Mary demain stop
questions urgentes à traiter stop Prévenir heure arrivée Newcastle."
Algrain.
Enfin, le jour même vers 20 heures, je reçus votre deuxième télégramme ainsi conçu:
"Vu difficultés transport Hognoulle Mary arriveront seulement Londres aujourd'hui vers 19 heures stop
Partiront pour Newcastle le soir stop
Attends nouvelles et décisions prises après visite Spicer."
Belguerre
Et de mon côté je cablai immédiatement à Monsieur Spicer ce qui suit:
"Reçois à l'instant télégramme suivant du Havre stop
Vu difficultés transport Hognoulle Mary arriveront seulement Londres aujourd'hui vers 19 heures stop
Partiront pour Newcastle ce soir stop
Attend nouvelles et décisions prises après visite Spicer stop
signé: Belguerre stop
Pensez-vous pas que vous feriez bien de partir ce soir aussi pour Newcastle avec ces messieurs pour conférer demain Birtley avec eux et moi."
Debauche Belgeanglo.
La nuit du 23 au 24 fut normale tant à l'usine qu'au Village et je reçu le 24 à 7 h. 1/2 du matin votre 3e télégramme dont le contenu suit:
"Suppose que grâce à force dont disposez vous avez remis en prison stop
sinon faites le immédiatement en vous assurant possibilité refréner immédiatement toute opposition stop
je supprime toute faveur de toute nature à tout le personnel de Birtley pendant trois mois stop
sanctions sévères seront prises dès que aurai reçu rapport officiers envoyés en mission"
Belguerre.
En même temps me parvenait le télégramme suivant de Monsieur Spicer:
"Your telegram received stop
since câble was dispatched message received that these gentlemen cannot reach Lcndon to-day stop
have cabled Havre proposing commission of three representatives appointed respectively by Belge Government Ministry of Munitions and Home Office to sit next thursday to enquire into greivance of men stop Have stated advisable that representatives appointed be persons wich have not visited the factory between day of disturbance and day of inquiry stop Have aliso indicated shall propose gentlemen arriving from Havre remain in London tending reply in case Belge Government desire to appoint one of them for commission."
Spicer.
Dans la matinée du 24 courant je communiquai à Monsieur le Capitaine Algrain votre télégramme reçu le jour même et je lui demandai s'il était capable d'exécuter vos instructions.. Le Capitaine Agrain me répondit qu'il lui était impossible d'exécuter ces instructions même avec le concours de la police anglaise sans devoir recourir à l'intervention active de la force armée anglaise. C'est pourquoi je vous ai lancé dans le courant de l'après-midi un long télégramme ainsi conçu:
Urgent. Belguerre Le Havre. France,
Avons eu vendredi après-midi réunion à Birtley avec
  • Général Montgomery stop
  • Chief Constable Durham stop
  • Gibb et son assistant stop
  • Dolphin, Algrain et moi stop
Spicer était pas encore arrive stop
Après quelques échanges de vues le Général mettait à notre disposition une compagnie anglaise stop
Monsieur Gibb déclara alors que l'intervention active de soldats anglais dans notre colonie mettrait en péril l'existence même de la convention liant les deux gouvernements au sujet de Birtley stop
Devant cette déclaration et l'impossibilité de communiquer avec vous en temps utile attendu que des troubles plus sérieux étaient prévus pour le soir même nous avons été obligés d'accepter a titre provisoire la proposition faite par le Général et le Chief Constable stop
Cette proposition demandait le retrait de notre gendarmerie et la faculté pour le Général de parler avec l'un des meneurs stop
Moyennant acceptation de ces deux conditions le Général et le Chief Constable prenaient la responsabilité entière de maintenir 1'ordre en plaçant cinquante policemen d'élite pouvant être portés à cent et en les appuyant au besoin par cent soldats qui arriveraient en automobile au premier signal stop
La nuit de Vendredi la journée de samedi et la nuit de samedi à dimanche ont été fort tranquilles et le travail a été normal stop
Spicer arriva ensuite et trouva l'arrangement convenable stop
Le travail est interrompu depuis ce matin et ne sera repris que mardi matin à cause de la Noël stop
Reçois votre télégramme concernant mesures a prendre stop
Capitaine Algrain déclare qu'il est impossible d'appliquer ces mesures sans recourir à l' intervention active de la force armée anglaise stop
Etant donne les graves conséquences indiquées ci-dessus pouvant résulter de cette intervention je propose d'attendre l'arrivée du commandant et du Capitaine que vous m'annoncez avent d'agir stop
Provisoirement l'ordre reste assure par les cinquante policemen du Chief Constable stop
Vous envoie aujourd'hui par lettre relation détaillée des événements survenus et des mesures prises."
Debauche Belgeanglo.
ce que j'ai l'honneur de vous confirmer.
Jusqu'à l'heure actuelle le Commandant et le Capitaine que vous m'annoncez ne sont pas arrivés à Birtley et j'espère que vous serez d'accord avec moi pour que nous attendions leur arrivée à Birtley avant d'appliquer les mesures de répression qui, comme je vous l'ai expliqué plus haut, sont de nature à compliquer la situation.
Provisoirement le service d'ordre se fait toujours sous l'entière responsabilité du Général Montgomery et du Chief Constable de Durham jusqu'à ce que vous ayez décidé la ligne de conduite définitive à tenir.
Je joins à la présente les documents suivants:
  1. Une note, portant le N° 1 de Monsieur le Capitaine Algrain
  2. Un placard, portant le N° 2, qui m'a été remis le 21 à 8 H. 1/2 du matin par un chef de service.
  3. Un rapport portant le N° 3, du Chef du Poste de Gendarmerie.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance de mes sentiments les plus dévoués.
Le Directeur Général,
(s) Debauche
Vu pour accord, Le Capitaine (s) Algrain A Monsieur le Baron de Broqueville, Ministre de la Guerre de Belgique, Sainte - Adresse -

P.S. Par suite de l'interruption des services postaux à l'occasion des fêtes de Noël j'ai décidé de faire porter la lettre à Londres au bureau du Major Theunis, afin qu'elle puisse vous parvenir plus rapidement. Elle partira donc aujourd'hui soir, 25 courant, de Birtley. La nuit du 24 au 25 ainsi que la journée du 25 ont été très calmes et rien ne fait prévoir de nouveaux troubles pour le moment. Le travail sera repris demain 26 courant à 6 heures 1/2 du matin.

Rapport Algrain

NOTE POUR MONSIEUR LE DIRECTEUR GENERAL
concernant les événements survenus dans la journée du 21 décembre.

  • J'ai été prévenu à 8 heures 1/2 du matin qu'une manifestation ayant pour but de délivrer deux soldats condamnés à une peine de prison pour port d'habits civils aurait lieu le soir à 6 heures 1/2.
  • J'ai reçu peu après votre pli me remettant une affiche annonçant cette manifestation.
  • Je me suis immédiatement mis en rapport avec Monsieur Dolphin dans le but d'obtenir l'appui de la police anglaise.
  • Le Sergent Dixon, du poste de Birtley a promis d'envoyer entre 16 et 18 heures 10 à 12 policemen à la gendarmerie avec mission d'empêcher les manifestants d'arriver à leur but.
  • En exécution des ordres reçus de Monsieur Spicer j'ai renouvelé par écrit et par communication verbale au téléphone a l'adjudant Dagonnier, Chef du Poste de Gendarmerie , l'ordre formel d'enfermer les armes et de ne point en faire usage.

Vers 6 heures 1/2 je me trouvais en relation téléphonique avec le Lieutenant Vermeulen, Officier de service à la Gendarmerie et il m'avertit que la foule se rassemblait devant le Poste de Gendarmerie et, sans préavis, commençait à bombarder le poste avec des projectiles divers. J'ai téléphoné pour demander que la police anglaise, venue en aide à notre Gendarmerie, dégage les environs du poste de Gendarmerie. A ce moment la communication a été coupée du fait que le poste de gendarmerie était intenable par les projectiles qui y tombaient.
Me rendant dans le village j'ai aperçu une troupe nombreuse se rendant vers mes bureaux et y manifestant tandis que la majorité continuait à cerner la Gendarmerie. La troupe qui avait manifesté devant mes bureaux s'est rendue ensuite à ma maison privée et a commencé à l'assaillir à coup de projectiles en présence de la police anglaise. En voyant la maison inoccupée les manifestants ont décidé de retourner rejoindre leurs camarades devant la Gendarmerie.
Devant la gravité des faits et le manque de moyens répressifs, j'ai décidé de me rendre auprès de vous afin de prendre de commun accord les mesures nécessitées par la situation. Dès que je suis arrivé à votre maison particulière le Chef de la police du District, l'Officier Gargate, demandé par nous, se présenta et déclara l'affaire très grave et ne prévoir nullement comment il arriverait à une solution.
Je refusais de lâcher les prisonniers, malgré l'attitude découragée du Chef de la Police. Il me déclara que le Chef du Poste de Gendarmerie avait tiré deux coups de feu et qu'il y avait un enfant blessé; j'ai appris que cet enfant avait eu la cuisse traversée par une balle mais que le Chef du Poste avait agi en état de légitime défense, ayant été contusionné au moment même par une brique qui lui avait été lancée dans les reins lorsqu'il essayait d'atteindre le poste téléphonique.
Vers 10 h. 1/2 Monsieur Dolphin, installé à la Gendarmerie avec les policiers anglais déclara de leur part ne plus savoir faire face à l'attaque très forte qui se préparait et me demanda de relâcher les prisonniers. Devant cette situation inextricable et après avoir pris votre avis, j'ai télégraphier qu'on pouvait relâcher les prisonniers. Après ceci le calme s'est rétabli rapidement, mais je tiens à faire remarquer que la police anglaise n'a rien fait pour empêcher la manifestation d'arriver à leur but et que, de plus, il m'est revenu de plusieurs sources que les policemen, dans ces occasions et dans d'autres précédant les événements, m'avaient rendu personnellement responsable vis-à-vis des soldats des mesures qui m'étaient imposées par eux et qu'ils déclaraient, dans la suite, contraires à tous les droits des citoyens du Royaume-Uni.
Je dénonce avec force, avec toutes preuves à l'appui, cette manière d'agir qui avait pour but de me faire endosser les mesures qu'ils désiraient que je prenne et qui, au moment où j'avais besoin de l'appui de ces gens, me privait totalement de leur concours, comme il sera d'ailleurs complètement prouvé dans les négociations qui auront lieu dans la suite.
Ci-joint le rapport du Chef de Poste de Gendarmerie.
Birtley, le 22 décembre 1916.
Le Capitaine, Chef du Village, Commandant le D.O.A.B.E.
(s) Algrain

Rapport Dragonnier

(copie)
BIRTLEY - ELISABETHVILLE
N° 727 - Administration du Village de Birtley Co. Durham

Le 22 décembre 16
Mon Capitaine,

Ayant été prévenu qu'une manifestation aurait lieu le 21 décembre au soir par les ouvriers de l'usine, je suis resté avec mon personnel à la caserne pour parer aux éventualités. La police anglaise au nombre de 12 hommes était réunie à la cuisine des célibataires à la caserne.
Vers 6 heures 3/4 du soir, environ deux mille personnes étaient réunies en face de la caserne, Boulevard Prince Théodore, hurlant et sifflant. Tout à coup, des projectiles de toute nature furent lancés à travers les fenêtres, contre la porte d'entrée et au dessus du bâtiment. Devant me rendre au téléphone, des projectiles furent lancés par la fenêtre de la salle des pas perdus, dont une brique m'atteigna au côté droit du dos. Comme ces émeutiers tentaient de s'introduire par cette fenêtre et voyant ma vie en danger, j'ai rebroussé chemin et suis allé prendre mon revolver pour ma défense personnelle et qui se trouvait dans une armoire fermée, chez moi par la suite que l'on avait procédé à son nettoyage quelques jours auparavant. Revenant dans la salle des pas perdus, des pieux de clôture furent lancés par les fenêtres par où les individus tentaient de s'introduire; sur cela, j'ai tiré deux coups de revolver pour les effrayer.
Arrivé au téléphone, un pieu fut lancé par la fenêtre et brisa une broche du fil de raccordement au téléphone, sur cela, j'ai immédiatement fait remettre les armes, qui se trouvaient en magasin, à mon personnel.
Voyant que les émeutiers persistaient à vouloir s'introduire de vive force et auraient de la sorte pu prendre possession des armes, j'ai ordonné d'ouvrir la porte d'entrée et prié la Police anglaise de sortir pour faire cesser ces actes de vandalisme. Apercevant la Police anglaise les émeutiers l'acclamèrent et se retirèrent sur la chaussée et cessèrent de jeter des projectiles. Petit à petit le nombre diminua car beaucoup d'ouvriers prirent la direction de l'usine pour se rendre au travail.
Au moment où la Police anglaise sortit, le Maréchal des Logis DANLOY a appréhendé un des émeutiers se trouvant au premier rang, le soldat FLAME Julien, tourneur, et l'a incarcéré.
Vers 22 heures, Mr Dolphin arriva à la Gendarmerie et, après avoir téléphoné à mon Capitaine, le nommé ROBERT Richard vint avec Mr Dolphin pour obtenir la libération du nommé FLAME, Julien qui partit avec ROBERT et fut à sa sortie acclamé par les émeutiers. La foule se dispersa ensuite, tandis que les policiers anglais se tenaient aux abords de la caserne et du Dining Hall.
L'Adjudant, Commandant le Poste de Gendarmerie.
(s) Dagonnier
pour copie conforme:
**retour au texte**

Commission d'enquête

(traduction - original en anglais) Février 1917

Rapport sur les troubles survenus à Birtley en Décembre 1916.

1. Préliminaires.

  1. Le 21 décembre 1916 des troubles sérieux firent leur apparition dans la Colonie belge de Birtley, au sein du comté de Durham. Cette nuit, M. Debauche, le directeur général de l'usine à munitions, a téléphoné à Mr Spicer au Ministère des munitions, afin de lui demander l'assistance de troupes anglaises. Mr Spicer répondit à Mr Debauche qu'il avait demandé au général Montgomery, commandant la garnison de la Tyne, de prendre contact avec Mr Morant, chef Constable de Durham, en vue de définir les actions nécessaires pour maîtriser la situation.
  2. A la suite de cette communication, le général Montgomery visita le site de Birtley, dans l a matinée du 22 décembre. Après s'être entretenu avec Mr Dolphin, le représentant du département du travail au ministère des munitions, le capitaine Algrain, chef militaire du village, Mr Gibb, représentant à Birtley du ministère des munitions, et le chef constable de Durham, il les réunit dans le bureau de Mr Debauche. A cette réunion, le général Montgomery décida avec sagesse, pensons-nous, de ne pas envoyer de troupes anglaises à Birtley. Il fit savoir à un travailleur belge, Mr Richard Robert, dont le nom lui avait été donné par Mr Dolphin et après avoir reçu de lui l'assurance d'un arrêt des troubles et de la reprise immédiate du travail, qu'une enquête serait entreprise à propos des griefs formulés. Mr Robert ensuite rapporta le résultat de l'entrevue à la réunion des travailleurs qui avait lieu au Dining Hall. Cet accord fut accepté et les troubles s'appaisèrent.
  3. A la satisfaction générale de la promesse faite par le général Montgomery, une enquête fut ordonnée sur le champ, et les personnes suivantes en furent chargée :
    o- Mr E., A. Mitchell Innes, présenté par les affaires intérieures, o- Le président, M. le Major Theunis, proposé par le ministère belge de la guerre. o- Mr R., V. Vernon, proposé par le ministère des munitions.
  4. L'ordre de mission fut: Enquêter sur les troubles récents survenus à Birtley, en analyser les causes de déclenchement et définir des arrangements adéquats visant au maintien de l'ordre: en faire des recommandations.
  5. Le 28 décembre 1916, nous avons été à Newcastle-on-Tyne, accompagnés de Mr Graham Spicer du ministère des munitions, du commandant Hognoulles et du capitaine Mary, tous deux officiers belges chargés de l'enquête administrative à Birtley à la suite des conclusions de notre enquête et qui avaient reçu l'autorisation d'être présents à notre discussion, pour définir l'action à mener.
  6. Le jour suivant, dans la matinée, nous avons revu la situation avec le général Montgomery et nous nous sommes rendus ensuite à Birtley les 29 et 30 décembre. Nous avons examiné 22 plaintes, avec le Chef constable de Durham, Mr Debauche, Mr Gibb, Mr Dolphin, le capitaine Algrain, et 12 employés représentant les ingénieurs, les contremaîtres, les ouvriers tant qualifiés que non qualifiés.

2. L'organisation de la Colonie de Birtley.

Le nombre d'hommes belges à Birtley est de 3.997 personnes réparties de la manière suivante :
o- 3.600 dans l'usine, inspecteurs, magasiniers, etc compris
o- 302 occupés à des tâches dans le village, entretien, éboueurs, etc
o- 95 secrétaires ou clercs
soit un total de 3.997 personnes.De ceux-ci, 3.521 sont soldats et parmi ces derniers, 1140 ont été retirés du front ou des lignes de communications. 2.381 sont des soldats proposés à la réforme, mais encore militaires, soumis à la juridiction militaire tantôt française, tantôt anglaise. 476 sont des civils. Quelques hommes marriés vivent avec leur femme et enfants; quelques-uns mariés sont seuls et un grand nombre sont célibataires.
Les relations exactes existant entre Mr Debauche et le capitaine Algrain ne sont pas clairement établies, mais il suffit à l'heure actuelle de savoir que Mr Debauche représente l'autorité suprême dans l'usine;le capitaine Algrain, assisté par quatre officiers (lieutenants) et 24 gendarmes, est responsable de l'ordre dans le village. Le capitaine Algrain a les pouvoirs que lui donnent les lois militaires belges vis-à-vis des délits d'ordre militaire. Il a aussi établi des règlementations spéciales, notamment en ce qui regarde le port de l'uniforme, l'accès aux établissements publics anglais, etc...
Il a aussi la tâche de trancher les refus au travail dans l'usine, les manques de respect aux contremaîtres, etc.. Pour tous ces délits, il peut proposer des peines d'emprisonnement en cellules, dont il y en a 9 dans la gendarmerie. La peine maximale d'emprisonnement est de 40 jours; la peine maximale prescrite par lui fut de 9 jours, "parce qu'il manque de place dans les cellules..". Il existe un système de remise de peine qui instaure le rachat de la liberté en fonction du délit, au prix de 10 pences à 1 livre par jour d'emprisonnement. Cette mesure fut abolie très récemment, au début du mois de décembre.
Les exactions commises par les civils sont traitées par la police locale et dans les tribunaux ordinaires, de même que les manquements à la loi originale anglaise à charge des soldats, tels que vol, indécence, etc.. à l'intérieur ou à l'extérieur du village. En dernier ressort, il a le pouvoir de congédier les civils ou d'extrader les soldats en France. Le nombre de déportations disciplinaires de soldats fut de 99 en incluant le 20 décembre, soit environ 3 cas par semaine.
Le village a l'aspect d'un cantonnement placé sous autorité militaire.
A côté des belges, on compte environ 500 secrétaires d'origine anglaise travaillant sous l'autorité de Mr Gibb.

3. Les troubles du 21 Décembre 1916.

Dans la matinée du 21 décembre, un avis fut affiché sur les lieu de travail invitant les travailleurs à rejoindre la gendarmerie vers 18H30.
Vers 6H30 après-midi un cortège d'environ 2.000 travailleurs belges, pour la plupart des soldats, s'assembla autour de la gendarmerie. Ils s'en prirent à la clôture de la gendarmerie, l'arrachèrent, puis lancèrent des projectiles formés de briques et pièces de fer et brisèrent 15 fenêtres du bâtiment. Là-dessus, un adjudant gendarme tira un coup de pistolet à travers la fenêtre et blessa légèrement un garçon à la cuisse. Ce fut le seul blessé. Cet incident eut un très mauvais effet sur le cortège.
Tôt dans l'après-midi, les gendarmes, révolver au poing, chargèrent à partir de la gendarmerie; cependant, suivant la suggestion de l'inspecteur de police Cargat, ils revinrent rapidement à l'intérieur de la gendarmerie.
Un détachement du cortège se dirigea alors vers la maison du capitaine Algrain, proférant des propos inquiétants et violents à son encontre. Finalement, après avoir cassé quelques fenêtres et arraché la clôture, ils se sont persuader d'arrêter.
Le cortège fut persuadé également de quitter la gendarmerie mais, après avoir défilé dans le village, ils se rassemblèrent à nouveau au Dinig Hall vers 21H30 où ils demandèrent la libération des prisonniers dans les cellules, particulièrement celle d'un soldat qui avait été mis en prison pour avoir porté une tenue civile au moment de demander un congé au capitaine Algrain. Ils furent bruyants et violents, menacèrent d'effusion de sang et de destruction de la gendarmerie.
Finalement un homme qui avait été appréhendé lors du soulèvement fut libéré et, grâce à Mr Dolphin qui s'est adressé au cortège en flamand et en français, le calme survint et le cortège se dispersa. Le seul dernier prisonnier dans la gendarmerie, qui l'avait été pour port illégal de tenue civile fut libéré le lendemain matin, date de la fin de sa détention.
L'activité de la fabrique ne fut jamais interrompue pendant ces perturbations.

Les causes de ces perturbations.

La cause principale de ces troubles fut sans conteste l'apparition d'un ressentiment à l'égard de l'administration militaire en place dans le village. Ce ressentiment fut aggravé par deux circonstances :
o- la connaissance du fait qu'en Angleterre, les soldats anglais travaillant aux munitions n'étaient pas soumis aux lois militaires.
o- le fait que beaucoup de soldats belges à Birtley, en voie d'être réformés, étaient déjà considérés comme des civils.
Ce ressentiment était centré essentiellement sur trois points :

  1. l'obligation de porter un uniforme militaire à l'extérieur du village
  2. l'interdiction pour tout militaire d'entrer dans les bars des environs.
  3. la présence de gendarmes.

Les points 1 et 3 sont intimement liés à un autre. Actuellement aucun soldat belge en uniforme ne pouvait être servi dans un bar, et un grand nombre de soldats revêtaient des habits civils pour pouvoir être servis dans ces bars. Ceci avait pour résultat d'augmenter considérablement les cas d'ébriété.
Les soldats se plaignaient aussi de n'avoir qu'un seul uniforme qui finissait par être sali dans la fabrique. Ils demandaient ainsi de pouvoir en acquérir un second uniforme qu'ils porteraient en dehors du village.
Les griefs contre les règlements sur les bars étaient aggravés par le fait qu'il n'y avait pas assez d'opportunité d'avoir des distractions et des amusements à l'intérieur du village. Il n'y avait qu'une cantine dans le Dining Hall; le seul cinéma avait lieu au Birtley hall situé juste en dehors du village. Le Birtley hall n'avait pas le succès espéré car il subissait la réputation entièrement non fondée, d'être un club privé à la solde du capitaine Algrain. Plus tard, le souhait d'organiser des concerts et des représentations dramatiques ne fut pas encore soutenu par les autorités.
Le niveau de rémunération par semaine est passé de 5 à 5.6 livres. Le coût de la vie et des déplacements étaient estimé à 1 livre par semaine. Il restait donc environ 2 livres d'argent de poche par semaine. C'est plus que ce que les travailleurs belges avaient l'habitude d'avoir. La possession de ces moyens de se procurer des amusements aggavaient d'autant l'impression d'avoir une vie lassante et ennuyante dans le village.
Il a été suggéré d'ériger une seconde cantine dans le village et de réquisitionner quelques bars des environs à l'usage exclusif des belges; cela ne se fit pas sans créer beaucoup de difficultés. Mr Debauche et le capitaine Algrain ont fait remarquer que les restrictions sur les bars n'ont été imposées qu'à partir des mois d'octobre et de novembre afin de créer cette habitude chez les travailleurs de Birtley. Nous ne sommes pas de cet avis car nous pensons que cela sera insuffisant. En réalité, le grief principal est les refus de permettre une libre circulation des personnes.
Nous sommes contents que les suggestions faites pour l'amélioration du séjour en prison des prisonniers aient été prises en considération.

A propos de la présence de gendarmes.

Les sentiments à l'égard des gendarmes sont dus, à notre avis, au caractère obligatoire de leur présence plus qu'à une cause individuelle. Mais les traditions et les opinions sont très différentes chez les belges que chez les anglais, mais il convient de garder les habitudes. En effet, ils demandent que les gendarmes puissent conserver sur eux leurs armes à l'avenir et en font un sujet de concession indispensable. Cette permission ne devrait pas être accordée à notre avis. La différence de vue entre les belges et les anglais pourrait être source de difficultés et d'incompréhension entre les parties. Le capitaine Algrain demande également que ses forces de police soit doublées, passant de 24 à 50 unités.
Quelquers travailleurs ont tenu, avant les troubles, des réunions politiques dans les environs dans lesquelles des discours de Mr de?? (illisible) et de Mr Duncan, M.P., s'opposaient à l'emploi de soldats comme travailleurs aux munitions. Quelques témoins de ces réunions ont exprimé l'avis que ces meetings avaient une mauvaise influence sur la paix de la colonie. Nous rejoignons leur opinion quant'au fait que ces réunions dans les environs ont un caractère indésirable.
Nous pouvons faire une recommandation, à savoir sur l'organisation de l'usine. Pour parler court, nous sommes heureux de constater que ces troubles n'ont pas pour origine un fait situé en dehors de l'usine. Il est évident que le maintien d'un personnel en circuit fermé est propice au développement de plaintes comme celles qui circulent dans toutes les usines, mais aussi par exemple, par la cohabitation entre flamands et wallons et d'autres situations dont nous n'avons pas connaissance.

RECOMMANDATIONS.

  1. Que l'autorité militaire dans le village soit maintenue; le chef du village devrait être assisté par un nombre accru d'officiers (Lieutenants)
  2. Que, bien que nous comprenions les difficultés engendrées par la position délicate du capitaine Algrain, l'autorité militaire doit pouvoir s'exercer avec une plus grande part d'élasticité et de considération que celle que nous observons dans l'application des lois militaires.
  3. Qu'un tribunal soit constitué à partir de deux membres, un belge et un anglais, sans connection avec l'entreprise de Birtley, mais qui possède juridiction sur toutes plaintes ou délits à propos de tous les travailleurs, tant soldats que civils dans le village et dans l'usine, exceptés ceux qui sont du ressort exclusif de l'armée. Ce tribunal doit avoir le pouvoir d'infliger des amendes jusqu'à 3 livres.
  4. Qu'en cas de désaccord entre ces deux personnes, on puisse fair appel à une troisième chargée de faire l'accord entr'elles. Cette troisième personne est choisie avec l'agrément du Ministre anglais des munitions et celui de la guerre pour la Belgique.
  5. Que les gendarmes soient retirés et que leurs activités, y compris les arrestations pour délit militaire soient prises en chage par la police locale anglaise aidée par des interprêtes.
  6. N.B. Le chef constable de Duham est prèt à soutenir cette proposition.


    Avant de discuter les recommandations à faire, le Major Theunis tient à rappeler que le Gouvernement belge a désiré dans toute cette affaire être utile et agréable au Gouvernement britannique.
    Lorsque les troubles se sont produits, le Gouvernements belge s'est rendu compte qu'il y avait lieu d'éviter que les désordres ne se propagent dans la région ouvrière de Newcasle-on-Tyne. Dans ce but, les troubles, que le Gouvernement belge considère comme étant très graves, ont été traités avec une indulgence toute exceptionnelle. Le Gouvernement belge considère qu'il y avait une révolte de militaires contre l'autorité et dans ces conditions, les auteurs étaient passibles de conseil de guerre et des punitions les plus graves.
    Pour tenir compte du désir exprimé par le Gouvernement anglais, le Gouvernement belge a accepté l'enquête proposée par le Ministère des munitions et par la présente commission, et cela, en considération de la promesse faite au Délégué des ouvriers par le Général Montgoméry, commandant la garnison de la Tyne.
    Jusqu'à présent, un homme seulement a été envoyé en France et aucune punition n'a été infligée à Birtley du chef des émeutes.
    Toutefois, le Major Theunis, suivant les instructions qu'il a reçues, tient à exposer le point de vue du Gouvernement belge qui est le suivant :
    L'établissement de Birtley doit être considéré comme un établissement militaire belge semblable à ceux existant au Havre; par conséquent, les militaires qui en font partie doivent être soumis aux mêmes règlements militaires en vigueur et en constituer un détachement.
    La discipline doit être maintenue, elle sera comme le prescrivent les règlements, ferme et bienveillante.
  7. Que le pouvoir de licenciement pour les civils et de déportation pour les militaires soit maintenu.
  8. Que l'interdiction d'accès dans les bars publics anglais soit lévée en maintenant l'obligation de porter l'uniforme pour ceux qui voyagent en dehors du site. Un habit civil complété par un brassard ou un badge reste insuffisant. L'uniforme militaire est maintenu pour faciliter l'identification de la personne et prévenir les difficultés qui surviendrait par l'attribution d'une nationalité par erreur, particulièrement par le fait que la zône est une zône interdite. Cette disposition doit être communiquée à la police, complétée par des instructions visant à réprimer les excès de boissons. Cette disposition est provisoire, durant une période d'essai, et peut être retirée à tous moments en cas d'abus.
  9. Qu'un bleu de travail sera porté dans le village et à l'usine.
  10. Que si le Birtley Hall après son agrandissement s'avérait encore insuffisant, on puisse construire une nouvelle cantine dans le village.
  11. Qu'un encouragement soit donné à l'organisation de concerts de musique et de pièces dramatiques parmi les travailleurs.
  12. Que soit régulièreeement publiés les comptes du Birtley Hall ainsi que ceux du Dinig Hall et que les bénéfices soient utilisés à la promotion d'activités divertissantes.
  13. Qu'un plus grand nombre de maisons soit construites et attribuées aux ménages avec femme et enfants.
  14. Qu'il soit bien compris que l'assistance de troupes anglaises ne peut être demandée que par le chef constable de Durham.
  15. Qu'afin de rendre plus aisé aux travailleurs l'accès à Mr Debauche il lui soit octroyé un secrétariat chargé plus spécialement de recevoir les avis et plaintes éventuels des travailleurs.

CONCLUSIONS.

En conclusion, nous souhaitons souligner le franc esprit de conciliation de notre collègue belge, le Major Theunis, qui a donné beaucoup plus qu'une simple présence au sein de notre enquête qui s'est déroulée avec beaucoup de respect et de délicatesse. Nos remerciements vont aussi à Mr Graham Spicer pour les services qu'il nous a rendus et le rôle évident qu'il a joué en tant qu'interprête.

Demission du capitaine Algrain

(copie)
ROYAUME DE BELGIQUE
Ministère de la Guerre
Direction des Etablissements d'Artillerie
Le Havre, le 27 janvier 1917.
n° 283/Bc.


Au Capitaine Algrain,

A la suite des évènements qui se sont passés à Birtley le 21 décembre 1916, il ne m'est pas possible de vous maintenir dans vos fonctions.
Toutefois, pour que les perturbateurs ne puissent croire que votre déplacement constitue une satisfaction qui leur est donnée, j'ai décidé de ne pas vous rappeler en France avant deux mois environ.
Si, à ce moment, l'organisation de Birtley nécessite encore la présence d'officiers belges, je compte placer le Capitaine commandant Noterman à la tête du village.
Il est nécessaire que d'ici là, cet officier se mette au courant des différents rouages de Birtley et j'ai prié le Lieutenant Général Orth de lui permettre de consacrer à cette nouvelle mission la moitié de son temps.
Jusqu'à la nomination officielle du Commandant Noterman vous conserverez le titre de Directeur du Village. Toutefois, vous ne prendrez aucune mesure sans être d'accord avec cet officier.
Je ne doute pas que vous comprendrez l'importance des services que j'attends de vous jusqu'au moment de votre rappel en France.

Le Ministre de la Guerre
de Broqueville.


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